Bonjour et bienvenue

« Si je ne suis pour moi, qui le sera ?
Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je ?
Et si pas maintenant, alors quand
? »

(Hillel, Les Maximes des Pères)

Alors voici ce blog. Pour moi. Pour toi, lecteur. Pour ici, et maintenant.


lundi 4 mai 2015

Confessions on a train's floor

Dimanche 26 avril, 22h, RER A

Il est là, comme très souvent à ces heures tardives. Il fait la manche. Pas la peine de fouiller mes poches, je connais déjà la réponse : elles sont vides. Je viens de filer ma dernière pièce comme pourboire.

Alors, dépitée, je lui offre ce qu'il me reste. Un sourire que je veux réconfortant, baigné d'une lueur d'optimisme.

Il s'arrête à ma hauteur. Et (je me déteste pour cela!), je me justifie :
"Je n'ai pas de monnaie..."

 Je lis la déception dans son regard, alors j'enchaîne :

 "... Mais j'ai de la conversation. Vous vous asseyez une minute, je descends à la prochaine?"

 Et il s'assoit. Et nous avons une conversation de la lune. Il se présente.
"Je m'appelle Martial. Comme la loi..."

 (Pas drôle le mec, mais je fais semblant d'apprécier le bon mot)

 "Vous travaillez?
- Oui, je suis serveur à mi-temps, je gagne 600€ par mois. Mon hôtel me coûte 900€ par mois.
Alors je suis là, chaque jour à la sortie du travail. Vous voyez, là il est 22h. Cela fait 6h que je fais la manche. Et vu comme c'est parti, je suis encore là pour un bout de temps.
- Vous êtes courageux
- Je n'ai pas le choix...
- Si : vous trouvez un autre emploi, pour compléter le premier. Il y a bien des jobs possibles, non? 
Vous avez l'air sérieux, vous devriez pouvoir trouver un revenu complémentaire.
- Je m'estime déjà heureux d'avoir un emploi, même à mi-temps.
- Vous êtes positif, c'est une grande qualité
- Merci Mademoiselle
- Je descends là
- Je vous remercie pour votre gentillesse"

 

Lundi 27 avril, 00h30, RER A

A peine est-il entré dans mon wagon, que je tilte. Un large sourire vient barrer mon visage. Il me fait un clin d'œil, mais ne sacrifie pas son discours rituel d'entrée de wagon.

Il chemine entre les quelques passagers, moitié-bourrés, moitié endormis.

Arrivé à ma hauteur, il me lance un regard interrogateur. Je lui réponds :
"Aujourd'hui, je n'ai pas de conversation, mais j'ai de la monnaie!"

Il sourit, récupère mes piécettes, et poursuit son chemin.

 
C'est la première fois que je me dis, soudain, qu'il importe pour moi. Je suis francilienne, je sors souvent sur Paris. Je rentre souvent à des heures tardives. Et tout d'un coup, je réalise que de l'imaginer quelque part sur la ligne, peut être dans mon train, peut être dans mon wagon... Cela me fait du bien.

 Un peu comme un ange gardien. A minima, une présence bienveillante. Quand mon mari s'inquiète de mon retour tardif, peut être un jour lui renverrai-je un message
"Ne t'inquiète pas mon Namour, il y a Martial"

 
Samedi 2 mai, 00h30, RER A

Je n'ai que 3 stations ce soir. Et qui vois-je arriver dans ma direction?
Un Martial moins positif que d'habitude.

Je crois qu'il ne m'a pas encore vue
Lorsqu'il égrène sa litanie d'entrée de wagon.
Lorsqu'il entame sa marche anti-triomphale.
Lorsqu'il essuie, rangée après rangée, l'indifférence, le mépris, le refus.
Lorsqu'il ponctue ses derniers pas de "de toute façon, aujourd'hui, c'est pas mon jour de chance"

Et puis nous échangeons un regard. Je file la bonne blague commencée 6 jours plus tôt :
"Aujourd'hui, j'ai de la monnaie ET de la conversation"

 Il rayonne. Du moins, il essaie. Il me répète que c'est difficile aujourd'hui. Il me gratifie d'un "Heureusement que vous êtes là, Mademoiselle. Sur tout le train, il n'y a que vous qui ayez donné"

Je me sens importante. J'ai envie de lui dire qu'il est un peu devenu important pour moi aussi.

Mais Martial n'est pas en état d'écouter. Ce soir, il a besoin, LUI, d'être écouté. Alors il me raconte (en réalité il me répète) la quadrature du cercle qu'il doit résoudre chaque jour.
Et je réalise - non sans peine, mais je ne me fais guère d'illusions - qu'il ne se souvient pas me l'avoir raconté 5 jours plus tôt.

Je l'écoute et je l'encourage. Et j'ai l'impression qu'en quittant le wagon, il est un peu moins chagrin que quand il y est entré.

 
Au revoir, Martial.
À bientôt peut-être.

Bien qu'en réalité, je préfèrerais que ... ce ne soit jamais.
... Que tu n'aies plus besoin de mes piécettes pour vivre, ni de ma conversation pour te sentir écouté.

 
Donc au revoir.
Et surtout Merci pour les leçons de vie, que sont chacunes de nos rencontres

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Envie de commenter, mes chéris?