Il est là, comme très souvent à ces heures tardives. Il
fait la manche. Pas la peine de fouiller mes poches, je connais déjà la réponse
: elles sont vides. Je viens de filer ma dernière pièce comme pourboire.
Alors, dépitée, je lui offre ce qu'il me reste. Un
sourire que je veux réconfortant, baigné d'une lueur d'optimisme.
Il s'arrête à ma hauteur. Et (je me déteste pour
cela!), je me justifie :
"Je n'ai pas de monnaie..."Alors je suis là, chaque jour à la sortie du travail. Vous voyez, là il est 22h. Cela fait 6h que je fais la manche. Et vu comme c'est parti, je suis encore là pour un bout de temps.
- Vous êtes courageux
- Je n'ai pas le choix...
- Si : vous trouvez un autre emploi, pour compléter le premier. Il y a bien des jobs possibles, non?
Vous avez l'air sérieux, vous devriez pouvoir trouver un revenu complémentaire.
- Je m'estime déjà heureux d'avoir un emploi, même à mi-temps.
- Vous êtes positif, c'est une grande qualité
- Merci Mademoiselle
- Je descends là
- Je vous remercie pour votre gentillesse"
Lundi 27 avril, 00h30, RER A
A peine est-il entré dans mon wagon, que je tilte. Un
large sourire vient barrer mon visage. Il me fait un clin d'œil, mais ne
sacrifie pas son discours rituel d'entrée de wagon.
Il chemine entre les quelques passagers, moitié-bourrés,
moitié endormis.
Arrivé à ma hauteur, il me lance un regard interrogateur.
Je lui réponds :
"Aujourd'hui, je n'ai pas de conversation, mais j'ai
de la monnaie!"
Il sourit, récupère mes piécettes, et poursuit son
chemin.
"Ne t'inquiète pas mon Namour, il y a
Martial"
Samedi 2 mai, 00h30, RER A
Je n'ai que 3 stations ce soir. Et qui vois-je arriver
dans ma direction?
Un Martial moins positif que d'habitude.
Je crois qu'il ne m'a pas encore vue
Lorsqu'il égrène sa litanie d'entrée de wagon. Lorsqu'il entame sa marche anti-triomphale.
Lorsqu'il essuie, rangée après rangée, l'indifférence, le mépris, le refus.
Lorsqu'il ponctue ses derniers pas de "de toute façon, aujourd'hui, c'est pas mon jour de chance"
Et puis nous échangeons un regard. Je file la bonne
blague commencée 6 jours plus tôt :
"Aujourd'hui, j'ai de la monnaie ET de la
conversation"
Je me sens importante. J'ai envie de lui dire qu'il est
un peu devenu important pour moi aussi.
Mais Martial n'est pas en état d'écouter. Ce soir, il a
besoin, LUI, d'être écouté. Alors il me raconte (en réalité il me répète) la
quadrature du cercle qu'il doit résoudre chaque jour.
Et je réalise - non sans peine, mais je ne me fais guère d'illusions - qu'il ne se souvient pas me l'avoir raconté 5 jours plus tôt.
Et je réalise - non sans peine, mais je ne me fais guère d'illusions - qu'il ne se souvient pas me l'avoir raconté 5 jours plus tôt.
Je l'écoute et je l'encourage. Et j'ai l'impression qu'en
quittant le wagon, il est un peu moins chagrin que quand il y est entré.
Au revoir, Martial.
À bientôt peut-être.
Bien qu'en réalité, je préfèrerais que ... ce ne soit jamais.
... Que tu n'aies plus besoin de mes piécettes pour
vivre, ni de ma conversation pour te sentir écouté.
Donc au revoir.
Et surtout Merci pour les leçons de vie,
que sont chacunes de nos rencontres
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Envie de commenter, mes chéris?