Chers amis,
Aujourd'hui je souhaite aborder un sujet délicat : la
Gestation pour autrui (GPA). Je sais à quel point ce sujet cristallise un
certain nombre de craintes liées à la conception actuelle et future de la
famille. Et pourtant, je vais l'aborder en vous expliquant pourquoi
personnellement j'y suis favorable et dans quelles conditions. Plus encore, je
tenterai d'analyser pourquoi je suis moi-même tentée de porter un enfant pour
autrui. Cette analyse je la mène d'abord pour moi. Je la diffuse ici afin
qu'elle puisse enrichir le débat, afin de constituer une base de discussion.
Vos réactions, du moment qu'elles sont bienveillantes et constructives, sont
tout à fait bienvenues.
J'aimerais d'abord placer quelques repères dans ma
réflexion. De confession juive, j'ai été bercée dans mon enfance par le récit
de la Genèse. Notre Sainte Bible (pour au moins trois grandes religions
monothéistes) est un ouvrage pragmatique. Nos Pères, nos Patriarches, vivent
certaines expériences et émotions d'une humaine banalité. L'amour, la jalousie,
l'arrogance, la colère... Mais aussi l'infertilité. La transmission étant au
cœur du message monothéiste, l'infertilité ou l'impossibilité de concevoir pour
transmettre appelle une réponse.
Ainsi Abraham prend-il - à la demande de sa femme Sarah -
pour maîtresse Agar, l'Egyptienne. De même, Jacob s'accouple-t-il avec les
servantes de Rachel (Bilha) et de Léa (Zilpa). La Genèse est marquée par ces GPA
complètes (Léa et Rachel élèvent les 12 enfants de Jacob comme étant les leurs)
et incomplètes (Abraham ne peut, à la demande de Sarah, élever Ismael aux côtéss
d'Isaac...)
Or, derrière les arguments des anti-GPA, on entend trop
souvent l'idée qu'on voudrait créer ex nihilo une conception nouvelle,
délirante, contre-nature de la famille. Aussi j'invite les personnes qui
avancent de tels arguments à considérer la Sainte Bible comme un brûlot
révolutionnaire et anarchiste!
Je pourrais traiter de la même manière le sujet de
l'adoption (inhérent a la démarche de GPA), en citant les exemples de Jonathan,
adopté par le roi David. L'exemple prend une dimension encore plus frappante (car relevant d'une transmission intensément spirituelle et mystique) dans l'itinéraire de certains prophètes, je pense en particulier à l'adoption d'Elisée par Élie.
En somme, la Bible est le premier ouvrage à pointer du doigt
l'existence de liens du cœur parfois infiniment plus puissants que ceux du
sang.
Revenons au 21ème siècle, revenons à ma démarche. Je suis
une personne adoptée. Je ne peux écrire "enfant adoptée", puisque je l'ai été
officiellement à l'âge de 31 ans. Mon histoire est quelconque : des parents
divorcés lorsque j'avais 6 ans (ils vivent séparés depuis que j ai 4 ans). Un
beau-père généreux et aimant, qui nous a toujours considéré comme ses enfants,
sans jamais exiger de nous de réciprocité. Il assume tout ce qu'un père assume (les nuits blanches lorsque nous sommes malades, les heures d'angoisse avant et après les examens et les concours...)
A la mort du père biologique, il nous propose
(à mon frère et moi) de manière ouverte et détachée (le refus était facile) l'aventure de
l'adoption. Mon ressenti? Le statut nouvellement acquis reflète enfin la
réalité des 25 années qui ont précédé :des liens du cœur plus puissants que
ceux du sang
Alors je suis prête, moi adulte adoptée, à envisager cela.
L'envisager intellectuellement, physiquement. Je suis prête aujourd'hui à
imaginer qu'un enfant né de mes entrailles, a fortiori s'il a été conçu après
mure réflexion - idéalement dans un cadre adapte (suivi psychologique,
sociologique, médical) - puisse grandir au sein d'un foyer dont le noyau est un
couple ne pouvant concevoir - fussè-t-il de même sexe.
Que celui qui ne s'est jamais senti impuissant en
écoutant un couple en mal d'enfants me jette la première pierre...
Alors je veux croire qu'en matière de GPA, nous pouvons
dépasser le schéma trop souvent évoqué de consommation , de consumérisme
appliqué à la parentalité, de marchandisation des âmes et des corps.
Je veux croire que l'on puisse envisager l'existence de
filiations basées sur la transmission.
Une transmission comparable à celle de l'Alliance, qui s'affranchit des
liens du sang, pour replacer au centre le sens (pourquoi avoir des enfants?),
l'amour et l'éducation.
Ces propos peuvent faire sourire, être considérés comme
des élucubrations d'une jeune personne idéaliste, célibataire et en mal
d'enfants, qui se construit de toutes pièces une justification pour concevoir
un enfant. Or il en est tout autrement.
Ces propos peuvent soulever des remarques pertinentes,
quoique teintées de scepticisme. Ainsi seule une femme qui n'aurait pas porté
d'enfant durant 9 mois, qui n'aurait pas vibré jour et nuit au diapason d'un
fœtus, qui n'aurait pas vécu ce moment d'intense angoisse et bonheur qu'est
l'accouchement... Pourrait envisager de "transmettre" un enfant. Or
il en est tout autrement.
Pourquoi s'offusquer de ce que quelques couples ne
pouvant concevoir s'appuient sur nous - car étant mariée, cette décision est
prise conjointement avec mon époux - pour devenir parents?
Pourquoi s'offusquer que mon mari et moi, parents de
trois enfants, cadres supérieurs menant de belles carrières, ayons envie de
donner la vie, au sens littéral?
Notre engagement est un don, il n'est point question de
vendre le fruit de mes entrailles.
Notre engagement n'a d'autres leviers que la générosité
et l'envie de transmettre.
Notre engagement est une proposition pour que puissent naître
des enfants dont la venue a été précédée d'une réflexion immensément
nécessaire.
D'ailleurs, il serait opportun - mais là n'est pas le
sujet - que ne puissent naître que des enfants dont la venue a été précédée de
cette réflexion.
Pourquoi pointer du doigt la parentalité réfléchie et
"aidée" (par des couples et des familles comme la notre)?
Pourquoi refuser à ces couples infertiles de fonder un
foyer?
Et ce alors que naissent chaque jour des dizaines enfants
(d'unions naturelles), dans des familles n'ayant pas désiré ni prévu ces
enfants.
Dans des famille n'ayant pas les moyens (affectifs,
financiers) ni l'envie de donner le meilleur à ces enfants
Dans des familles déjà amputées de moitié (le papa est
parti des qu'il a su, ou pendant la grossesse ou après la naissance)
Dans des familles où la réflexion et l'anticipation
(quelle décision prendre si l'enfant est atteint de maladie, d'anomalie)
faisant défaut, la famille a tôt fait de voler en éclats.
La monoparentalité ne choque point (elle concerne
quelques millions de foyers), bien qu'occasionnant des difficultés majeures
notamment pour l'équilibre des enfants (je peux témoigner puisque j'en ai
moi-même fait les frais). Si l'intérêt
supérieur de l'enfant doit primer, alors la monoparentalité - bien que souvent
la moins pire des solutions - n'est pas optimale. Elle ne permet pas à l'enfant
d'avoir deux parents s'aimant et aimant, qui se passent le relais dans
l'éducation des enfants et dans la direction du foyer. Elle n'est pas en soi un
gage d'équilibre et d'harmonie.
La monoparentalité
ne choque point, malgré tout cela, car elle est le fruit d'une
procréation dite naturelle.
En revanche, la parentalité de quelques milliers de
couples infertiles, qui souhaitent chérir un enfant depuis longtemps désiré, un
enfant qui aura la chance d'etre aimé, choyé, éduqué, accompagné et guidé par
un couple stable, harmonieux et équilibré...
Est choquante?
Mais quelle est donc cette société qui fait primer
l'animalité de la parentalité sur l'intérêt supérieur de l'enfant?
Quelle est donc cette société qui refuse à certains le
bonheur que d'aucuns ne peuvent ni ne veulent apprécier?
Quelle est donc cette société qui ferme les yeux sur
l'existence d'une filiation, vieille comme le Monde, qui permet une
transmission en s'affranchissent des liens du sang?