Difficile de parler de l'œuvre de Dustan sans être
rattrapée par les sentiments que l'on développe pour l'auteur. La personne, le
personnage, est clivant. Il faut le dire.
Pour ma part - et ce n'est pas un sentiment, je vous
l'accorde - ce fut durant 34 ans l'ignorance, donc de fait une indifférence
totale. Une série de petits hasards concomitants m'ont fait croiser sa route. Il
y a, dans mon apprentissage, mon travail personnel, un avant et un après
Dustan. D'où cet article, pour partager une source d'élévation (ce qui nous
fait grandir mérite bien ce terme, non?)
Après que son nom soit arrivé sur ma route, j'ai - comme
tout bon Millenial - commencé par
regarder sur YouTube les prestations médiatiques de Dustan. J'avais envie de
pleurer - pour lui. Impression qu'il se donnait en pâture à ses détracteurs.
Quelque chose m'a touchée, une forme de fragilité qui tisse son chemin entre
deux urgences : celle de ne pas vouloir plaire. D'avoir abandonné sciemment cet
écueil dans lequel on nous éduque et qui consiste à rechercher en priorité une
forme d'harmonie, de consensus, à chaque pas que l'on esquisse. Cela avilit,
enferme la pensée dans une bienséance mondaine, bourgeoise (ou populiste, c'est
au choix). Dustan l'a compris, et il ne cherche pas l'assentiment. La deuxième
urgence est un besoin d'être aimé pour ce qu'il est, en toute transparence.
Etre aimé pour ne jamais totalement disparaître. Il est séropositif depuis
janvier 1990 (Il a alors 24 ans). Il se sait condamné. Le temps est compté, il
y a urgence.
C'est la clef pour comprendre le début de l'œuvre de
Dustan. Sa trilogie première trouve son fondement dans ce que l'autobiographie
- comme genre - nous a offert de plus sophistiqué et simple en même temps. Dans
un genre totalement nouveau, énergisant et direct. Dustan s'offre, se raconte
tel qu'il est. Plus d'imposture possible. Si on doit l'aimer (ce qu'il
souhaite, sinon pourquoi écrire? Pour désespérément trouver un agrément
paternel? Une tendresse éternelle de la part de ceux qui l'agréent déjà?) alors
on l'aime pour ce qu'il est. Ou on le déteste.
Un mot sur cette trilogie : à mon sens, c'est une œuvre
dure. Je souhaite ici rendre un immense hommage à Thomas Clerc pour la
lumineuse préface qu'il nous offre dans les Œuvres I (éditions POL). Moi qui
ait tendance à sauter allègrement les préfaces pour entrer dans le vif du
sujet, j'ai frémi d'émotion tant Thomas Clerc éclairait la lecture, l'œuvre et
le personnage.
Cette trilogie est à la fois simplissime et difficile
d'accès. "Trop de sodomie dans ta prose" écrivait Virginie Despentes.
Tellement juste, mais tellement nécessaire. En poursuivant l'œuvre de Dustan,
on prend conscience qu'il fallait cette trilogie première pour pouvoir passer à
la suite, pour pouvoir - enfin - dépasser ce qui est essentiel, consubstantiel
à Dustan : le sexe (comme matière première de son identité, de sa construction
mentale, politique, sociale et de son œuvre) pour aller vers le général, vers
ce qui le dépasse pour devenir une œuvre utopique, un projet sociétal plein
d'espoir (et de désespoir - Dustan savait qu'il mourrait avant que ce projet ne
soit mis en œuvre).
Et pourtant, avec le mariage pour tous - 2013, Il s'en
est fallu de peu pour que Dustan, décédé en 2005, ne voit le début de son
projet prendre corps.
Si le monde n'est pas (encore) prêt à lire ou prose
dustanienne, cela arrivera un jour. Le jour où l'urgence se fera sentir pour
tout un chacun, et que le monde se partagera entre ceux qui projettent leur
survie dans un monde ultra protégé, par la foi, le dogme, la religion, les
idéologiques, le clan, l'obéissance à des règles dont personne ne conteste la
légitimité, Ni la vertu.
Et ceux qui projettent leur salut dans un monde libre,
libéré des contraintes qui pèsent sur nous depuis la tendre enfance. Il y a une
utopie dans l'œuvre de Dustan. Une urgence de vivre libre - donc pas seulement
de (sur)vivre. Il est possible de libérer l'homme du travail en recherchant les
alignements existants entre travail et plaisir. A ce titre, Dustan est pour moi
un héritier absolu de Charles Fourier.
Il est possible (nécessaire!) de remettre au coeur de nos
vies ces plaisirs "coupables" ou brodés de mort : le sexe, la musique
(la danse), la drogue. Et permettre à tout un chacun de s'adonner en toute
liberté à ces plaisirs. Sans avoir à se déterminer dans un genre donné (Dustan
revendique la coexistence pacifique d'un homme et d'une femme dans un même
corps), une orientation sexuelle donnée. En mettant fin à une société
patriarcale, monogamique, familiariste, sexiste, homophobe et raciste.
L'histoire a voulu que je dévore l'essentiel de l'œuvre
de Dustan durant la semaine de Pessah, cette année. Cette fête juive (Pâques)
durant laquelle nous célébrons la liberté - historiquement, la sortie d'Égypte.
(Haggadah de Pessah)
Cette année, Dustan m'a faite sortir d'Egypte.
Le souffle
de liberté qu'il provoque dans ma vie est sans retour possible.
PS, pour un aperçu, une bonne introduction.